mercredi 6 septembre 2023

Claude Gravel

Il était une fois le Québec

Montréal, Médiaspaul, 2023, 336 p., 29,95 $.

Voyage au Québec d’antan avec détour sur mon enfance

Claude Gravel, journaliste émérite et gestionnaire de grands médias, aujourd’hui à la retraite, s’intéresse, entre autres, à l’histoire de l’Église. Il était une fois le Québec, son plus récent ouvrage, est la biographie de Bruno Hébert, Clerc de Saint-Viateur et artiste de grand talent comme le furent quelques-uns de ses illustres ancêtres.

« C’est un intéressant voyage dans le temps auquel nous convie Bruno Hébert dans cette biographie. Né en 1937 dans une paroisse des Bois-Francs, il a connu l’apogée du catholicisme et le chapelet en famille, les années Duplessis et les cadeaux à ceux qui votaient du bon bord, les écoles de rang, qu’il a fréquentées enfant, puis celles de quartier où, jeune frère, il a éprouvé tant de joies à enseigner, des joies qu’il nous fait partager sans gêne ni honte. Car la vie sous cet Ancien Régime – ainsi désigne-t-il cette période –, il ne l’associe pas à une Grande Noirceur : il l’assume, tout en sachant très bien qu’elle ne pouvait durer toujours.

Brusquement, au début des années 1960, l’éclatement de ce monde, pour reprendre le mot du sociologue Paul-André Turcotte, lui-même Clerc de Saint-Viateur, a changé la vie de milliers de Québécois, à commencer par les membres des communautés religieuses. Leur monde s’est effondré… Bruno a dû s’y adapter. Il s’y est adapté…

Bruno Hébert fut l’un des rares frères à obtenir, avec son ami Jean-Paul Desbiens (le Frère Untel…), mais pour des raisons différentes, un doctorat en philosophie. Car, dans l’Église de ce temps, les simples frères, ainsi qu’on les désignait avec condescendance, restaient convers, c’est-à-dire, astreints aux travaux manuels, ou au mieux éducateurs (le mot "enseignant", associé aux premiers syndicats, n’avait pas encore cours), c’est-à-dire instituteurs au primaire ou au secondaire. Avant 1960, les cégeps n’avaient pas encore été créés et le cours classique, seul accès à l’université, englobait le niveau collégial et demeurait le fief des pères membre d’une communauté ou des prêtres séculiers. Les étudiants venaient le plus souvent des classes sociales privilégiées. Car il fallait payer, et de fortes sommes, pour accéder aux collèges classiques…

Mais sa vie vaut aussi la peine qu’on s’y arrête pour une autre raison : il est membre de l’une des plus importantes familles d’artistes au Canada. Son arrière-grand-père, Louis-Philippe Hébert, "sculpteur national" ainsi qu’on le désignait en son temps, a signé des œuvres majeures qui ornent nos bâtiments ou nos lieux publics, de La halte dans la forêt devant l’édifice de l’Assemblée nationale de Québec au Maisonneuve, situé à la Place d’Armes de Montréal. Ses grands-oncles Henri et Adrien, respectivement sculpteur et peinte, ont largement enrichi l’histoire des beaux-arts au pays. Son père, Jacques, lui-même sculpteur, nous a légué de magnifiques chevaux de bois que n’aurait pas boudé un Edgar Degas. Cet héritage, Bruno n’y est pour rien. Mais il lui a fait honneur en devenant lui-même peintre paysagiste, parcourant le Québec depuis près d’un demi-siècle pour en saisir et en partager les beautés sur la toile. Et fier de sa lignée, il a contribué à différentes expositions de ses grands-oncles ou de son bisaïeul, auquel il a d’ailleurs consacré une biographie. »

Détour

Les passages de cette biographie se déroulant à Joliette, ou y faisant référence, m’ont profondément ému. Non seulement Joliette est-elle ma ville natale, mais la maison de la famille de Bruno Hébert était située sur la rue Querbes, en face du Scolasticat Saint-Charles, dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste. [Louis Querbes a fondé la communauté des Clercs de Saint-Viateur en 1830]. Or, c’est dans ce quartier que j’ai vécu ma petite enfance et mon adolescence. Le récit de cette époque m’a fait revivre ces années où je passais matin, midi et soir devant ces propriétés en allant au Jardin de l’enfance, tenu par les sœurs de la Providence. J’ai aussi connu plusieurs des pères de Saint-Viateur auxquels Bruno Hébert fait référence, soit parce qu’ils étaient vicaires dominicaux de la paroisse, soit parce que j’ai joué au hockey avec mes amis et eux sur la patinoire du Scolasticat – une photo de B.H. figure d’ailleurs dans le livre (p. 65) –, soit parce que certains de ces religieux furent associés au Séminaire de Joliette que dirigeait la communauté. Je pense entre autres au père Wilfrid Corbeille, réputé architecte, peintre, muséologue et, surtout, créateur dans l’âme, dont une aquarelle représentant une maison ancienne de la région fait partie de mon patrimoine familial. Je pense aussi au père Maximilien Boucher, lui aussi artiste de très grand talent, dont plusieurs sculptures font partie du patrimoine religieux de la région de Lanaudière.

Plus près de moi encore, ces pages où il est question de la fonderie S. Vessot où a travaillé Jacques Hébert, le père de Bruno. Mon père y a aussi longtemps travaillé à titre de commis de bureau, de « clerk » aurait dit Miron. C’est d’ailleurs madame Alice Vessot qui lui vendit le lopin de terre où on construisit la maison où nous nous sommes installés en 1952, située au 119 de la rue Dugas.

« Bruno Hébert, clerc de Saint-Viateur, est l’un des derniers frères d’une communauté qui a contribué à bâtir le Québec. Peintre, il est aussi la dernière figure d’artiste de l’illustre dynastie Hébert, dont les racines remontent à la Nouvelle-France. À travers son histoire et celle de sa famille s’entrelacent les époques, les événements et les personnages qui ont façonné le peuple québécois : l’épopée des exilés acadiens, les héros d’autrefois immortalisés par les sculptures qui ornent toujours nos places publiques, le déploiement de l’Église triomphante dans toute sa majesté, les années Duplessis, la Révolution tranquille, les approches de l’éducation et de l’art d’hier à aujourd’hui.

Au fil de la grande histoire, c’est aussi un homme remarquable qui se révèle dans cette biographie. On découvre pourquoi Bruno Hébert est resté fidèle à ses engagements religieux et humanistes malgré l’effondrement de son univers, soixante-dix ans après avoir prononcé ses premiers vœux.

"Le monde dans lequel je suis entré à 15 ans n’existe plus depuis longtemps", reconnaît-il. En effet, ce monde appartient au passé, au point où les jeunes générations peinent à se le représenter. Ce livre, en plus de nous faire connaître un être d’exception, cherche à combler cette lacune. »

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