mercredi 6 juillet 2022

Yves P Pelletier

Déboussolé

Montréal, VLB, 2022, 232 p., 24,95 $.

La vie heureuse d’un cabotin

Quand les propositions éditoriales saisonnières me parviennent, je les passe en revue pour scruter l’horizon littéraire et attiser ma curiosité même à l’affut. Suivent les demandes de services de presse en variant les genres, les éditeurs et les auteurs nouveaux ou anciens, mais en pensant d’abord à vous, lectrices et lecteurs, avec qui je partagerai mes lectures.

Il arrive qu’un titre m’attire sans savoir pourquoi. Débousselé, une nouveauté printanière de VLB éditeur, m’a ainsi interpelé parce qu’il évoque une certaine liberté dont la pandémie nous a privés. Puis, j’ai constaté que l’auteur était Yves P Pelletier, celui-là même qui harmonise mes dimanches matin grâce à Dans tous les sens, une émission musicale diffusée sur les ondes d’ICI-Musique.

L’ouvrage se résume ainsi : « Laval, avril 1981. Dans sa chambre d’ado attardé, un jeune homme aux allures de lévrier afghan remplit son gros sac à dos beige. Il s’apprête à partir à la découverte du monde. Éveil des sens, aspirations bédéistiques et cinématographiques, débuts de Rock et Belles Oreilles, vie de tournée, mésaventures amoureuses, rencontres, deuils, grandes amitiés… Dans un récit sensible et drôle, Yves P Pelletier, voyageur invétéré, met sa jeunesse à plat et son âme à nu. »

D’abord dire qu’Ordinaire, la chanson de Charlebois, convient aussi à l’auteur, « un gars ben ordinaire » dans les récits qu’il fait de sa vie de 1981 à 1993. Candeur, naïveté, sentiment de l’imposteur, créativité exacerbée, altruisme constant, pelleteux de nuages, « ramasseux », un peu con, etc. Je pourrais ainsi aligner tous ces qualificatifs moqueurs qu’on donnerait à un beau-frère imaginaire, cette image que Yves P. semble entretenir, lui qui est tout sauf prétentieux.

Les pages de son journal intime qu’il ouvre sous nos yeux parlent de lui va sans dire, mais surtout de celles et ceux avec qui il partage le meilleur et le pire de ce que la vie réserve dans son jardin intérieur de prépubère et de jeune adulte qui cherche à s’assumer. Au cœur de cette quête identitaire, il y a la liberté difficile à acquérir et encore plus difficile à protéger et à conserver. C’est au sein de sa famille que ces apprentissages essentiels se font : papa et maman voient à l’éducation et l’école, là on fait les premiers pas de l’instruction promesse d’un avenir heureux.

Yves P n’est pas fils unique, il a une sœur aînée et un petit frère. Chez les Pelletier, c’est maman Janine qui coordonne la vie familiale. « C’est clair, ma mère m’a éduqué dans l’espoir de faire de moi son "homme idéal". » Cela rappelle que Yves P est né en 1961 et que le matriarcat a alors généralement le plein pouvoir sur l’éducation des enfants. Certes le père s’y intéresse, mais il n’est pas sur le terrain du quotidien.

Le « Préambule » de ce journal épars – on se promène de mois en années, de ville en ville, avec toujours ce fil d’Ariane qui nous ramène à l’essentiel grâce au sens aigu d’organisation de l’auteur – décrit l’état d’esprit du narrateur en avril 1981, alors qu’il est sur le point de s’évader de sa chambre de Laval et qu’il est conscient « d’être un clown, une bibitte» inscrit en communication à l’UQAM comme un noyau dur de sa génération instruite des leçons de Pierre Bourgeault ou de Pierre Foglia.

Ce qui intéresse alors Yves P, c’est la bédé. Il s’y adonne sans grande conviction tout en nourrissant l’espoir de devenir le Hergé du Québec. Voyager est une constante préoccupation, non pas les plaisirs touristiques ordinaires, mais la découverte d’autres cultures et des populations qui leur donnent vie. Rappelons-nous qu’un vent de changement souffle alors sur l’Europe dont la chute du mur de Berlin allait devenir l’ultime symbole.

Une question vous vient sûrement à l’esprit : et RBO, Rock et Belles oreilles? Débousselé n’est pas la petite ou la grande histoire de ce groupe qui reste à écrire. C’est plutôt le récit des premières performances d’un groupe d’étudiants qui font de l’improvisation humoristique. Petit à petit, la personnalité scénique de RBO se développe, les spectacles se multiplient, les tournées s’organisent au Québec puis en Europe, les émissions de radio et de télé s’amènent. Yves P a beaucoup d’amitié et d’affection pour cette joyeuse bande de camarades, mais ce qu’il raconte est mis en perspective de sa propre quête identitaire, son besoin viscéral de solitude étant souvent mis à mal dans les projets du groupe.

C’est d’ailleurs là un des effets du vedettariat dont il pourrait se passer : être reconnu sur la rue, dans les commerces ou dans les files d’attente au cinéma ou à un spectacle. Il évite ces situations, se montre courtois devant l’enthousiasme des admiratrices ou des admirateurs. Point.

C’est un peu de cette notoriété et les 60 $ hebdomadaires, que lui procurent les engagements de RBO, qui lui permettent de voyager plus fréquemment. Avant ce pécule (!), l’étudiant Pelletier, sans grande ressource financière, a appris à se débrouiller pour aller voir comme était la vie à l’étranger grâce aux divers programmes favorisant les échanges ou les stages à l’étranger. La France, d’abord, pour y mettre à l’épreuve son talent de bédéiste, mais aussi l’Italie, la Pologne, l’Allemagne et la Finlande. Les auberges de jeunesse, les rencontres de filles et de garçons avec qui il se lie d’amitié en passant outre à sa grande timidité : l’univers de Yves P se bâtit ainsi et devient une communauté à laquelle il restera fidèle au-delà des rencontres furtives.

Ai-je écrit timidité? Partout dans ces récits, on relève le manque de hardiesse du narrateur et les ennuis que cela lui a causés, surtout dans ses relations amoureuses, cette quête aussi importante dans sa vie que tout autre projet. Son sens de l’autodérision lui permet de passer outre à cette gêne dont certains des personnages qu’il a créés avec RBO ont hérité. La recherche de l’âme sœur occupe une place importante durant la douzaine d’années racontées dans le livre et elles ont en commun d’être rarement simples à vivre. C’est d’ailleurs parce qu’à 61 ans il peut prendre du recul par rapport aux gens et aux événements qu’il raconte et parvient à faire ce bilan d’une période charnière de sa vie.

C’est aussi, ai-je compris, sa façon de fixer à l’encre indélébile des moments fondateurs de la personne qu’il est aujourd’hui, notamment en rendant hommage à ses parents, sa sœur et François, son frère cadet décédé trop jeune après avoir été frappé par un conducteur ivre. Yves P Pelletier vit aujourd’hui dans une certaine zénitude, en équilibre entre son besoin de liberté et son devoir de partager avec d’autres. Et écrire offre ce compromis qui, à mon avis, lui convient tout à fait.

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