jeudi 6 février 2020


Sébastien Raymond
Montréal, Somme toute, 2019, 120 p., 14,95 $.

L’image devenue banalité?

De retour d’un voyage en Allemagne, tante Julienne et oncle Kurt projetèrent les diapositives de leur périple lors d’une réunion de famille. C’était à la fin des années 1950, mes parents et moi devenions témoins d’un nouveau moyen d’immortaliser les souvenirs.
La photo domestique a mis du temps à entrer dans les chaumières. Il y eut l’ère de l’argentique, du Kodak, du 35mm et du Polaroïd. La décennie qui vient de s’achever fut l’ère de nouvelles technologies, marquée par la disparition d’appareils désuets devenus des « SerPuARien ». Après l’ordinateur de bureau, l’ordinateur portatif a connu un essor rapide, suivi par celui des tablettes.
 

Avait-on vu venir la fulgurance du téléphone intelligent, maître incontesté de l’univers des TIC? Avait-on imaginé que sa capacité de prendre des photos de qualité allait changer radicalement le monde de la photographie?
Sébastien Raymond, auteur et photojournaliste, partage sa longue expérience d’un art en pleine révolution dans l’essai Le temps d’une photo: réflexion sur la photographie à l’ère du numérique. En cent dix-sept pages, il décrit et met en perspective notre rapport à l’image et la transformation du sujet de la photo, très souvent nous-mêmes et les nôtres, et de son objet.
Ce long préambule résume les pages d’histoires de la photographie, des appareils photo et de leurs usages, de leur intérêt pour la société. Jadis, les photos étaient des repères mémoriels racontant les lieux, les États ou les familles. Aujourd’hui, on a un appareil photo dans ses poches grâce au téléphone intelligent. Jamais « la photographie n’aura autant de responsabilités, gardienne du bonheur de chacun. […] Tout le monde fait de la photo, mais qui s’y intéresse? Et c’est ici la fracture de la photographie qui, lorsqu’elle est un moyen de communication, au même titre que le texto, s’échappe alors du domaine de l’art. »
Si l’égoportrait est ce qu’était autrefois le portrait peint des fortunés, il faut considérer que « la diffusion de masse des images est le plus grand bouleversement de la photographie, la conséquence majeure de l’arrivée du numérique, car le fonctionnement de l’appareil photo, lui, reste le même. » Un corollaire du numérique, c’est la gratuité des clichés et des abus que cela peut entraîner. Qui n’a pas des centaines de photos sur la carte mémoire de son téléphone, noyées dans un fatras d’images? Or, « être photographe, c’est bâtir une œuvre sur le temps, définir sa façon de s’exprimer par des images. Il y a donc une distinction à faire entre le fait de signaler son existence, et le fait de parler de son existence. »
Les réseaux sociaux, boulimiques de photos, en font leur pain et leur beurre. Certains y partagent leur vie en affichant leurs moindres gestes; quel intérêt que de voir l’assiette d’untel ou l’ensemble de ski d’un autre? Parfois, on fixe un événement exceptionnel qui aurait échappé aux photojournalistes et qu’on partage sur-le-champ, sans réfléchir aux possibles conséquences.
C’est cette distance entre prendre un cliché et le diffuser qui pose problème au plan médiatique, artistique ou personnel. Il y a les règles propres à l’art de la photographie et des lois à respecter, dont le droit à l’image des individus qui encadrent la liberté de prendre et de diffuser de leur photo.
Je me souviens qu’il était interdit de prendre des photos dans les musées, alors que maintenant on peut photographier les œuvres exposées, le flash étant toujours défendu. C’est devenu insupportable pour les visiteurs qui veulent voir les toiles ou les sculptures et qu’on bouscule pour les photographier à répétition. Cela a, entre autres résultats, la diffusion d’images de piètre qualité qui desservent les œuvres et privent les musées du revenu des monographies dont les photos professionnelles sont excellentes.
Sébastien Raymond, en proposant « une réflexion sur la photographie à l’ère du numérique », nous oblige à nous interroger sur l’usage, souvent intempestif, que nous faisons du produit des sessions de mitraillage photographique faites avec notre téléphone. L’essayiste suggère même que la photo remplacera, un jour, la langue parlée, mettant en pratique le dicton qui veut qu’une photo vaille 1 000 mots.

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