mercredi 1 mai 2024

Mélissa Verreault

La nébuleuse de la Tarentule

XYZ, coll. « Devenirs », 2024, 400 p., 29,95 $.

Arborescence narrative

Je lis lentement, car j’en ai fini avec la rapidité exigée durant mes années d’études et d’enseignement. C’est ce que je me suis permis de faire récemment en choisissant La nébuleuse de la Tarentule, un roman signé Mélissa Verreault.

Le titre interpelle, la tarentule n’étant pas un animal de compagnie lové dans un vivarium, mais une araignée venimeuse à la morphologie répugnante. Associer un phénomène météorologique à un arachnide annonce une histoire telle une « toile constituée par un réseau de fils de soie » capable de capter et de retenir notre attention dans toutes les directions où le récit nous amènera.

L’élément nébuleuse est ce nuage interstellaire qui s’installe au-dessus de la trame, annonçant une éventuelle tempête. À ces deux images s’ajoute celle de l’arbre de vie de Mélisa Verreault – Mélisa avec un seul « s » –, personnage principal et narratrice du récit. Ici, la confusion entre l’écrivaine et son héroïne est volontaire, certains traits de caractères et d’habitudes quotidiennes sont semblables, du moins selon ce que la romancière affirme : « Les mensonges s’emboîtent les uns dans les autres, ils sont des poupées russes, à la seule différence qu’il devient impossible de dire lequel a engendré lequel. »

La trame est semblable au tronc d’un arbre dont nous découvrons de nouvelles branches – la famille immédiate de la narratrice –, mais aussi des racines ancrées d’aussi loin que la mémoire de cette dernière peut se souvenir. Dieu sait que la mémoire de cette femme est prodigieuse, à moins que ce soit cette dernière qui s’invente des souvenirs.

J’aurais pu intituler cette recension « La crise de la quarantaine » : une rencontre fortuite de Mélisa avec un béguin d’adolescence jamais avoué au camarade d’école secondaire, Francis Bouchard. Il ne sera pas le seul représentant de cette époque à ressurgir, ce qui permet à Mélisa de rappeler certaines frasques où elle s’est laissée emporter par les occasions du moment, dont cette relation sexuelle avec une amie.

Reprenons la métaphore de l’arbre en observant le tronc qui soutient l’ensemble de la trame du roman. Il s’agit du quotidien de Mélisa, de Franco son mari et de leurs triplées, Adèle, Léonie et Bénédicte. Mélisa est une écrivaine en rupture d’inspiration, croit-elle du moins, mais elle traverse surtout une période de spleen comme elle en a déjà connu. Cette fois, ce mal-être va se transformer en une nostalgie lancinante de moments marquants de son enfance jusqu’à ce jour. Ce que confirment sa rencontre et sa relation avec Francis, appuyée par ce face-à-face avec Anne-Julie Genest, cette camarade déloyale dont elle n’a pas oublié les prétentions qui l’ont blessée plus profondément qu’elle ne l’eut cru.

Parmi la myriade de questions qu’elle se pose dans un état presque second, celle-ci en illustre plusieurs : « Nos vies ne sont-elles que des fac-similés de celles de nos ancêtres? Le sillon qu’ils ont creusé est-il à ce point profond qu’il nous est impensable d’en remonter les combles, d’en enjamber les crêtes pour rejoindre d’autres tranchées? Ma vision de la loyauté n’est pas tout à fait la même que celle de ma mère, j’ai la fidélité un peu plus flexible, mais mon sentiment de culpabilité à l’égard de Franco n’en est pas moins poignant. Les valeurs qu’on se choisit ne parviennent jamais à effacer complètement celles inculquées dans l’enfance. » Cela s’avère dans les fréquents rappels que la narratrice fait de son enfance, de ses sœurs jumelles et de son frère dans l’univers de parents divorcés, mais toujours présents pour eux.

L’écrivaine a des lettres – par exemple cette scène où Francis est agenouillé au pied du lit et « contemple l’origine du monde » rappelant la célèbre toile de Gustave Courbet (1866) – et elle ne se gêne pas pour glisser ça et là d’autres références culturelles ou pour employer sciemment des figures de rhétoriques, ce que ses amies lui reprochaient jadis. Cela sans oublier tous les calembours à-propos dont ceux-ci venus tout droit de la mémoire de son enfance : « J’ai aussi su que notre voisin est affilié à une gang qui s’appelle les Elle Zengels et que son restaurant est juste une façade pour blanchir de l’argent. Je n’ai jamais vu de billets blancs. »

Au chapitre des souvenirs familiaux, ceux rappelant des moments précis de son enfance font généralement œuvre utile, car ils illustrent adéquatement ceux plus récents. C’est le cas de ses rapports actuels avec sa mère et son père, ce dernier lui occasionnant des soucis depuis qu’il s’est mis à parler allemand, une langue dont elle ignorait l’origine de son apprentissage, lequel vient du séjour de ses grands-parents paternels à Lahr en Allemagne où Réal a débuté sa scolarisation; Mélisa ira au bout de cette histoire comme pour se déculpabiliser de sa relation avec Francis.

Avec La nébuleuse de la Tarentule, Mélissa Verreault a démontré sans aucun doute son talent d’imaginer un univers complexe dont la trame, telle celle d’une vaste tapisserie qui raconte de façon détaillée une fresque historique, se ramifie en plusieurs mises en abyme selon les souvenirs qui émergent, certains mis en lumière par de véritables artéfacts d’époque pour lesquels on a réservé des pages du livre. L’essentiel pour les lectrices et les lecteurs que nous sommes n’est-il pas de passer de bons moments en les confiant à la plume d’une écrivaine ou d’un écrivain? C’est exactement ce que la romancière réussit.

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