mercredi 23 juin 2021

Les éditions du Noroît et Les Herbes rouges

Transitions et longueur de vie

On me demandait récemment l’état de la poésie québécoise. Ma réponse étonna : non seulement les poètes étaient nombreux et mais la qualité de leurs vers est de haut niveau. J’évoquais la rigueur de la direction littéraire des maisons spécialisées en poésie, sans oublier la multiplication d’icelles.

Deux d’entre elles, les éditions du Noroît et les éditions Les Herbes rouges, passent le flambeau à une nouvelle génération… d’éditrices.

Ainsi, le Noroît, fondé en 1971 par Célyne Fortin et le regretté René Bonenfant, passés aux mains de Paul Bélanger en 1991, est désormais dirigé par Charlotte Francœur et Mélissa Labonté, deux femmes à la feuille de route impressionnante. Cette transition éditoriale sera marquée, entre autres, un rajeunissement de la maquette des collections et de la signature graphique, le logo qu’on peut déjà remarquer sur les bulletins et communiqués.

Parmi les plus récents recueils parus à cette enseigne, je vous suggère l’anthologie reVERSible / VERSschmuggel. « Le projet de traduction VERSschmuggel / reVERSible se présente sous la forme d’un laboratoire poétique et symbiotique où les matérialités, les intensités sémantiques et les fonds sonores sont passés au crible. Ici, cette complexité a été étendue non pas à deux, mais à trois langues : le présent volume réunit dix-huit voix poétiques issues de trois zones linguistiques de part et d’autre de l’Atlantique. » Parmi les participants à ce collectif, je note entre autres les Québécois Martine Audet – récipiendaire du Prix littéraire du GG 2021 pour son recueil La Société des cendres suivi Des larmes entières – Monique Deland, Natasha Kanapé Fontaine, François Guerrette, Tristan Malavoy et Pierre Nepveu.

Je retiens aussi Tout est caché, recueil de Judy Quinn. « Tandis que la pollution atmosphérique atteint des sommets records à Delhi, les morts prennent le pouvoir sur Terre. Où aller? Pourquoi? Dans ce cinquième recueil publié au Noroît, Judy Quinn poursuit son souffle narratif jusque dans les rues de l’Inde où elle dissèque avec acuité un réel insoutenable, celui d’un monde en flammes. Parmi la liste des choses à voir: des mini-chiens au poil court, la soie, la gale, la balle qui a tué Gandhi. Avec Ben Kingsley dans le rôle principal, se déroule ainsi la bobine d’un film sans sous-titres dans lequel l’existence n’est plus que survie, comme si Dieu avait quitté le cinéma avant la fin. Livre sur le deuil et l’amour, Tout est caché est un voyage incandescent à la recherche d’un abri. »

Les Herbes rouges, maison d’édition fondée en 1978 par les frères Marcel et François Hébert sous l’impulsion de Gaston Miron, était à ce jour toujours dirigée par François Hébert. Ce dernier passe la main à Roxane Desjardins, elle-même écrivaine. « Succéder aux frères Hébert, ce n’est pas une mince affaire. C’est avec François et les auteur-e-s des Herbes rouges que j’ai appris le métier. Les Herbes rouges, c’est notre lieu, notre maison. Et je compte lui faire honneur », confiait-elle à Geneviève Dufour du site revue.leslibraires.ca.

À cette enseigne, je retiens Parmi celles qui flambent, recueil de Noémie Roy. «L’histoire commence dans les airs, avec le rapt du soleil. Une blessure suffisamment grande pour pousser une fille hors d’elle-même. Dès lors l’avenir semble perdu: "l’horizon quelque part / se jette d’une falaise". Ce livre, déplié comme une carte routière, retrace le trajet de sa guérison. Au fil de ces poèmes tout en images vibrantes et en incantations, l’attention descend pour entrer dans le corps, le percer, creuser un terrier. Jusqu’aux racines. On ne se métamorphose jamais seule, et c’est entourée de celles qui l’ont précédée dans cette marche vers le pouvoir d’être soi que l’héroïne se rebâtit. Celles qui flambent, en brûlant, se transforment: "je souderai mes visages /  en un corps vieilli". "Il y a une consolation possible", oui, à même cette quête, à même le courage de brûler. Parmi celles qui flambent s’offre comme un baume à celles et ceux qui portent aussi une blessure.»



 Stéphane Despatie

Paroles biologiques

Écrits des Forges, 2021.

Je fais mien ce commentaire éditorial, les vers du recueil m’ayant fort ému. « La poésie du recueil, telle une carte géographique, installe un cadre et des balises qui serviront à déambuler dans les paysages intimes d’un individu en quête de repères personnels. S’accumulent tout au long du parcours les signes diffus d’une direction suivie ou à prendre, le passé ou les choix de vie, la maladie ou les expédients destinés à alléger la douleur, la musique ou les arts visuels. Voyez: "sur la table je l’étends / la carte usée par tous les divorces / de nouvelles divisions l’épinglent / toujours plus loin   dans les retranchements // plus qu’une ville qu’on écartèle / c’est le territoire de la poésie". Les liens du sang laissent leurs traces un peu partout visibles. Questionnements et réponses restent plus ou moins satisfaisants: la catastrophe est-elle inévitable?»


 Margaret Atwood

Politique du pouvoir, nouvelle traduction de Marie Frankland

l’Hexagone, 2021

« En 1971, Margaret Atwood se penche sur le rapport amoureux. Ou plutôt, sur une relation amoureuse. Ce recueil dont l’actualité stupéfie, 50 ans après sa parution, est enraciné dans l’expérience. Laquelle? Ça n’a aucune importance. La sienne. Atwood a toujours refusé qu’on assimile son œuvre à un mouvement particulier. De fait, quand son regard se pose sur la disparité des rapports de pouvoir et des formes d’affrontement dans le ou dans un couple hétérosexuel, il se pose sur des choses, sur des faits. Il y a ici de l’élégie acerbe. Et aussi l’évocation de la poésie courtoise et du romantisme victorien. Et encore, de l’absurde, du surréalisme, du postmodernisme, un psychédélisme halluciné et toute une eschatologie mystique, écologique, atomique. Le livre palpite de l’érudition de son auteure. De même, il est sensuel, grinçant et pénétrant. »

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