mercredi 5 août 2020

Gilles Archambault

Sourire en coin ou les ruses de l’autodérision

Montréal, Boréal, 2020, 128 p., 18,95 $.

L’abonné absent

Imaginer que la vie soit un virus intraitable et que vous ayez atteint les 87 ans, on fera tout pour que vous n’attrapiez pas ce mal. Comment pourriez-vous alors survivre à ce drame existentiel insoluble? C’est un regard oblique sur l’existence fragile d’un malade de la vie que propose Gilles Archambault dans un nouveau récit intitulé Sourire en coin ou les ruses de l’autodérision.

 

Cet écrivain n’a de cesse de publier depuis Une suprême discrétion, son premier roman paru en 1964 au Cercle du livre de France, cette maison fondée par le regretté Pierre Tisseyre. Citant Montesquieu, l’auteur note : «"J’ai la maladie de faire des livres et d’en être honteux quand je les ai faits." Pour ma part, je ne serais pas honteux, mais inquiet.» Or, cette inquiétude est au cœur de ce Sourire en coin.

S’il épingle la nature de son propos, identifié comme étant un récit, il donne l’illusion d’avoir d’abord eu le projet d’écrire un roman. C’est pourquoi le narrateur – auquel Gilles Archambault s’identifie, lui prêtant même certains traits de sa personnalité publique – arrive à Saint-Malo, en Bretagne, où il a loué une chambre d’hôtel, hors les murs, sur la côte de la Manche, prétextant ce roman en devenir. Mais aussi, surtout peut-être, pour revenir dans un lieu où il a séjourné autrefois avec son épouse en-allée.

Le narrateur rassemble quelques éléments qui peuvent lui servir à mettre en chantier son projet : l’attente d’un taxi sous la pluie devant la gare de la SNCF, ses observations des gens faisant comme lui dont Kim, une jeune Malienne dont il épie l’échange verbal avec un compagnon d’infortune. Il apprend ainsi qu’elle séjourne dans la Ville Corsaire pour prendre soin de Lydia Larionov, une concertiste retraitée.

Kim et Lydia deviennent ainsi les personnages d’une histoire incomplète qui sert, au mieux, de pivot au récit de divers souvenirs que l’écrivain raconte. Ces souvenirs assemblés composent une mosaïque dont l’ensemble brosse une fresque d’événements sublimés de l’existence du narrateur, les uns amenant les autres.

De la même façon, la citation de Cesare Pavese, placée en exergue, met en surbrillance la toile imaginaire sur laquelle repose la fresque : « Il y a quelque chose de plus triste que rater ses idéaux : les avoir réalisés. » Cette image douce-amère convient tout à fait à celle que Gilles Archambault cultive de lui-même d’un livre à l’autre. N’oublions pas cependant qu’il ne faut jamais confondre le narrateur d’une fiction et l’auteur, car, même s’ils semblent être des jumeaux identiques, ils s’inventent tous les deux au fur et à mesure de la trame.

Trente-et-un récits brefs forment la mosaïque et lui donnent les couleurs des sujets abordés, l’écriture étant la dominante. S’y ajoute la teinte des auteurs qui ont marqué les lectures du narrateur et celle que ce dernier cultive, livre après livre, sans pouvoir s’arrêter et, comme il l’écrit, « dans lesquels j’évoque mon étonnement de vivre. »

Ce voyage à Saint-Malo, réel ou imaginaire, l’a amené à décider de ne plus écrire de roman, car, selon lui : « Il est normal qu’on se désintéresse de ce que peuvent inventer les vieux écrivains. » Il a également entrepris de se délester de livres et de CD pour laisser le moins possible d’objets à ses enfants dont ils choisiront ou non de se débarrasser. Ce ménage aura un effet bénéfique : « Mon appartement me paraît plus accueillant depuis qu’il est presque vide. » "Place nette" est un titre approprié pour ce segment de la fresque, tout comme "Yannick Rieu" pour illustrer que « Pour la première fois depuis des mois, la musique me transporte. Je n’ai plus quatre-vingt-six ans, je suis revenu cinquante ans en arrière… »

Je mentionnais plus haut que plusieurs des pièces de la mosaïque illustraient des auteurs que le narrateur a aimé fréquenter. Figurent sur cette liste Alain Grandbois, Balzac, Stendhal et Henri Calet dont le narrateur raconte les liens que leurs œuvres ont établis avec le lecteur qu’il était, selon les époques ou les circonstances, et qui leur ont donné de l’importance. L’intérêt de ces souvenirs littéraires permet de constater une certaine influence que ces plumes ont pu avoir sur l’alter ego de G.A., des points de vue qu’il a intégrés à sa personnalité créatrice.

Vouloir filtrer tous les passages de Sourire en coin ou les ruses de l’autodérision dans lesquels le narrateur met en cause son habitude d’écrire, la considérant presque comme une tare, ne serait rien d’autre qu’un copier-coller du livre. Ce n’est pas la première fois que Gilles Archambault s’interroge et sur le nombre d’ouvrages écrits au fil des ans, et sur le besoin intrinsèque qu’il a de s’adonner à cette activité intellectuelle devenue comme l’eau du moulin. Il va de soi que "Pourquoi j’écris", "Les écrivains" ou "Écrivain prolifique" sont des passages plus directement reliés à l’écriture, comme celui intitulé "Salon du livre". Cependant, les cellules de la mosaïque évoquées permettent à l’écrivain d’être plus critique envers lui-même et envers l’institution dont il préfère aujourd’hui se tenir éloigné, sans pour autant négliger ses rares amis. Le thème de l’écriture littéraire serait incomplet s’il n’était pas question des critiques; ce mal nécessaire que sont ces derniers ne semble plus l’atteindre : « Je n’attends rien des recensions qui saluent la publication de mes livres… S’avouer auteur d’un livre est déjà l’expression d’une étrange autosatisfaction. » Puis, de dire : « Le seul critique que je me reconnais est François Ricard, mon conseiller littéraire depuis plus de quarante ans. »

Je ne peux terminer cette recension sans surligner avec insistance ce qu’Archambault appelle « les ruses de l’autodérision ». L’expression se résume à dire qu’il a fait de cette manifestation d’humour son pain et son beurre, sinon un trait significatif de sa personnalité… littéraire. Plus que jamais, me semble-t-il, G.A. justifie cette forme d’humour de soi qui masque une timidité qui pourrait être étouffante s’il n’y avait pas cet écran protecteur. Ai-je raison de dire que je vois là un lien direct avec le jazz dont il est un connaisseur de haut niveau?

Sourire en coin ou les ruses de l’autodérision sera-t-il le dernier ouvrage de Gilles Archambault? Égoïstement, j’espère que non, car ce serait nous priver de cette plume capable de fondre en divers élans le regard oblique que l’écrivain jette sur ses semblables et sur l’art qu’il pratique avec un plaisir renouvelé. Jouissif, allais-je écrire. S’il paraît conscient que ses romans, ses récits, ses chroniques et ses articles de presse ne passeront pas à la postérité, ce mot ayant été rayé du vocabulaire de nos contemporains, il n’en croit pas moins faire œuvre utile, cela dit avec modestie.

Je lis et recense de l’écrivain Archambault depuis la parution de Parlons de moi, en 1980. D’un livre à l’autre, je renouvèle le plaisir de trouver une voix, la sienne, si souvent entendue à la radio, aux modulations sans cesse renouvelées, la ligne musicale demeurant la même. Comme un air de jazz, quoi!

Aucun commentaire:

Publier un commentaire