mercredi 20 mai 2020


Louis-Philippe Hébert
Essais cliniques aux laboratoires Donadieu
Montréal, Lévesque éditeur, coll. « Réverbérations », 2020, 232 p., 28 $.

Le poids du temps qui passe

Après avoir fait paraître des nouvelles, un roman poème et un recueil de poésie en 2019, le prolifique Louis-Philippe Hébert a lancé, à la veille de l’arrêt pandémie, Essais cliniques aux laboratoires Donadieu, un livre composé de six nouvelles littéraires.



Lisant cet opus, je me suis demandé encore une fois s’il est possible que la littérature de l’imaginaire soit presciente? Qu’un auteur puisse avoir la faculté de connaître l’avenir et qu’il en trace le contour en décrivant une situation non avenue, mais tout à fait plausible? Nul doute, car c’est ce genre de présage que l’écrivain conçoit dans le premier et le dernier récit du recueil.
La première histoire porte le poids de ces essais cliniques consistant à trouver des cobayes humains qui acceptent de mettre à l’essai remède, traitement ou équipement médical moyennant un cachet attirant. Ici, le narrateur collabore à une expérience mené par le labo Donadieu, nom aussi évocateur que sarcastique. Nous le suivons à travers les dix-neuf séquences de son aventure, ses soupçons et tous ces combats d’un esprit en constante ébullition, sa plus grande bataille étant de rencontrer un des « chologues » et « leur colonoscopie de l’esprit ». Il en arrive à la certitude qu’on lui a implanté une bombe à retardement dans le cerveau qui fera « boum » quand le mécanisme sera déclenché comme celui d’une mine antipersonnel. Mais son contrat ne se terminera ainsi, il le sait, mais de façon beaucoup moins glorieuse que de donner son corps à la science.
« La Fuck you » raconte l’histoire de Taiyō qui habite Tōkyō. Nous suivons le garçon qui a une peur viscérale constante de tout. Comment vaincre ce mal qui le rend impuissant à l’action? La violence devient son allié, d’abord en détruisant des jouets et en répandant les pièces pour qu’on s’y blesse. Plus tard, il empoisonne le chien d’un camarade et en éborgne un autre. Taiyō redoute « que ce monde qui n’était pas fait pour toi finisse pas avoir ta peau avant que tu n’aies la sienne. » Un jour, il trouve la solution : se joindre à une entreprise de nettoyage de la centrale de Fukushima, celle qu’avec ses collèges de travail ils appelaient « la Fuck You » grâce à laquelle arriverait le « Fuck All ».
La narratrice de « Here and Now » déteste voyager. Paradoxalement, cette obèse travaille dans un aéroport où elle accueille les passagers qui évitent de trop la regarder à cause de son poids. Survient un accident cocasse où l’image d’elle-même est inversement proportionnelle à la réalité : l’ascenseur dans lequel elle se trouve décroche et la cabine descend très rapidement. Il faut une[JC1]  grue pour la sortir de là, ce qui ne l’empêche pas de remarquer un client qu’elle « trouve tellement de mon goût, celui-là, que je le mangerais. »
Le narrateur de « Et si c’était réversible? » est un auteur qui, un jour, rencontre un écrivain sud-américain doté d’une particularité physiologique remarquable : il n’a jamais cessé de grandir malgré son âge. L’essentiel du propos n’est pas là, mais d’une visite que le Québécois fait à son oculiste qui préfère qu’on le dise optométriste. L’examen de la vue, précédé de quelques tests faits avec un appareil de pointe, amène le spécialiste à conclure que non seulement son client ne perd pas la vue, mais qu’il retrouve l’acuité visuelle de sa jeunesse. Surpris et satisfait du diagnostic, l’écrivain saute dans sa Mercedes et, en sortant du garage sous-terrain, ébloui par le soleil, il ne voit pas le poids lourd qui roule en sa direction. RIP : le retour à la jeunesse aura été de courte durée.
« Séjour à Providence avec Mortimer » raconte le road trip en direction de la capitale du New Hampshire, Providence, de deux lascars partis se recueillir sur la tombe de Howard Philips Lovecraft, écrivain états-unien célèbre et célébré pour ses récits fantastiques, d’horreur et de science-fiction. Tout de cette nouvelle est sous le signe de l’amusement ironique tant par les situations dans lesquelles les deux compères se retrouvent que par la légèreté du ton de leurs échanges, même lorsqu’ils sont sérieux. Tout de cette nouvelle me semble en marge des autres récits du recueil aussi bien dans le ton du discours littéraire et qu’un certain bonheur de vivre de ses personnages.
Enfin, « Le virus de la fatigue » est bien, comme je l’écrivais précédemment, un regard futuriste d’un événement que nous connaissons maintenant. Bon, nous ne sommes pas dans le copier-coller des bulletins d’information en continu, mais dans le domaine de l’observation clinique d’« Un mal qui répand la terreur, / Mal que le ciel en sa fureur / inventa pour punir des crimes de la terre », qui n’est pas la peste ni le coronavirus, mais la fatigue. En trente et une séquences, nous assistons à l’éclosion et au développement de la maladie jour après jour et à la dégradation progressive de la population qui en est atteinte. Le narrateur conclut ainsi : « Je crois que ces pages seront mes dernières pages de notes. La Première Guerre mondiale fut une véritable boucherie, je le sais. Les livres d’histoire en sont remplis. […]  La Seconde Guerre mondiale laissa libre cours à un bel instinct de mort. Nous vivons à nouveau une épuration. […] "Ce n’est qu’un mauvais moment à passer", répondent les élus. » À lire en période de confinement, cette histoire peut, mais ne doit pas inquiéter puisque des scientifiques prévoyaient une éventuelle pandémie comme la covid-19.
Si j’ai retrouvé le verbe imaginatif de Louis-Philippe Hébert dont on le sait capable, j’ai cependant observé une atmosphère plus sombre inscrite, même différemment, dans chacune des nouvelles. Une exception : « Séjour à Providence avec Mortimer »; comme si ce voyage au pays de Lovecraft avait été une récréation distractive du poids du temps qui passe, impuissant que nous sommes à le retenir un peu, beaucoup ou à la folie. Attendons maintenant poésies ou fictions narratives, ou je ne sais quoi d’autre que proposera L.-P. H.

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