mercredi 21 novembre 2018


François Ricard
La littérature malgré tout
Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 2018, 208 p., 24,95 $.

La nostalgie : entre oui et non

Les recueils d’essais brefs de la collection « Papiers collés » (Boréal) m’interpellent à tout coup, comme si leurs textes réunissaient en un même lieu le cheminement de la pensée de leurs auteurs. Comment oublier La littérature est inutile (2009) de Gilles Marcotte et, maintenant pour des raisons semblables, La littérature malgré tout de François Ricard?




Pas question des ressemblances ou des différences entre ces deux hommes de lettres, sinon pour souligner que Gilles Marcotte a reçu le prix Athanase-David en 1997 et que François Ricard vient tout juste de recevoir la plus distinction du Québec qui « couronne l’ensemble de la carrière et de l’œuvre d’un écrivain québécois. »
Attardons-nous plutôt à l’étude de M. Ricard portant sur l’état des lieux de la littérature d’aujourd’hui. Il met cette dernière en perspective de la décennie 1970-1980, au temps où la moisson était non seulement abondante, mais d’une telle richesse que certains la croyaient éternelle. Presque tout était à inventer par ces écrivains, femmes et hommes, qui débordaient d’une imagination tout juste libérée de son joug « clérico-étatique » symbolisé par l’obligatoire imprimatur.
Puis, il y eut le projet de Nation qui, sans être l’apanage de tous, fut le paradigme d’univers inventés. Collégiens et étudiants en lettres se nourrissaient de la poésie, des fictions, des essais et du théâtre, bref d’un patrimoine qui, d’une saison littéraire à l’autre, se gonflait telle une outre.
Or, François Ricard constate que l’engouement s’est attiédi sans que ralentisse le tempo des presses, plusieurs petites maisons d’édition voyant le jour et imposant leurs propres lois, plus plébéiennes que celles imposées par la tradition venue de France, souvent considérée comme la mère patrie de toutes les littératures francophones.
Ricard croit « malgré tout » à la littérature et aux œuvres qui en constituent les assises, même si une nouvelle révolution érode les bases mises en place il y a une cinquantaine d’années. N’a-t-on pas l’impression qu’un buisson touffu est en pleine croissance de façon erratique au point où l’idée même de littérature s’y égare? L’universitaire n’est pas nostalgique, ou si peu. Il constate seulement la désertion des apprentis écrivains des sentiers tracés et des règles respectées.
L’essayiste constate une certaine normalisation du discours, qu’écrire « aujourd’hui au Québec, c’est d’abord, c’est presque obligatoirement écrire ce qu’on appelle un roman. » Bien que ne partageant pas entièrement cet avis, je trouve intéressante la topologie qu’il tire de son analyse. Il y a ainsi « le roman étudiant » issu des classes de création littéraire universitaires et favorisant « la transgression des codes communs ». Vient ensuite le « roman light » dont « l’écriture n’est pas spécifiquement québécoise »; puis, ce qu’il appelle « le roman cute » dont « le héros est une sorte de demeuré sympathique ». Enfin, il observe le « roman historico-régional » où « le réalisme est plus cru, la religion moins présente, et la prose plus relâchée » que dans le roman du terroir d’autrefois.
Je n’oublie pas que La littérature malgré tout ce sont également des articles sur plusieurs écrivains qui ont retenu l’attention de François Ricard, dont Gabrielle Roy; exégète de son œuvre, il a, entre autres, écrit une biographie remarquable. D’ailleurs, ce qu’il dit de la biographie en général mérite d’être enseigné haut et fort.
Je ne peux terminer cette recension, si partielle soit-elle, sans m’arrêter à « L’art de la critique » où l’auteur s’attarde à cette profession « qui requiert ultimement […] l’admiration, la méditation, l’engagement personnel à la fois le plus abstrait et le plus intime, sans quoi ni l’expérience, ni la connaissance littéraires ne peuvent avoir lieu. » Et d’ajouter que « toute critique a quelque chose à la fois de polémique et de chevaleresque ». Que dire de plus, sinon que je partage ce point de vue que j’aurais bien aimé écrire, comme si cette opinion reflétait mes nombreuses années de chronique hebdomadaire : on ne choisit pas d’être un critique, on le devient.

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