mercredi 12 avril 2017

Hubert Mansion
Les trésors cachés du français d’Amérique
Montréal, L’Homme, 2017, 176 p., 22,95 $.

Parler franbéquois

Les passions s’animent dès qu’il est question de la langue au Québec. Qu’on le parle ou qu’on l’écrive, l’apprentissage du français est fort complexe, même pour ceux dont c’est la langue maternelle. Longtemps, le modèle linguistique idéal fut celui de la France, sinon celui de Paris. Toujours, le piège des anglicismes est une crainte constante, presque une obsession. Or, en lisant Les trésors cachés du français d’Amérique, un essai d’Hubert Mansion, j’ai à nouveau compris qu’il fallait cesser les comparaisons avec le français d’ailleurs et mettre en perspective nos peurs d’emprunter à la langue de nos voisins.
Un mot sur l’auteur. Originaire de Belgique, Hubert Mansion est un avocat qui s’est longtemps consacré aux vedettes du show-business avant de venir s’installer ici. Il a depuis publié plusieurs livres sur le Québec dont 101 mots à sauver du français d’Amérique (Brûlé, 2008).
Son nouvel essai prend la forme d’un lexique où sont consignés plus d’une centaine de mots et expressions retenus parmi les termes et locutions fréquemment employés dans le discours quotidien des Québécois et des autres francophones du continent, et dont l’usage est, souvent, faussement craint.




Cet ouvrage m’a autant appris qu’il m’a fait rire, car l’auteur se permet des digressions interdites dans les dictionnaires ou les ouvrages savants de linguistique. Il ne se pose pas en lexicologue, mais en francophone parfois ulcéré par un rigorisme ou un purisme puritain qui finissent par tuer à petit feu toute passion du français. On oublie alors qu’une langue est vivante dont les mutations ravivent son usage.
Un exemple. Le mot « barguiner » n’est pas l’anglicisme que l’on croit, puisqu’« attesté en français sous la forme de "barganer", de "bargaigner" ou de "barguigner" depuis le XIIe ». Toujours sous ce vocable, l’auteur s’aventure à baliser l’origine des mots qui composent le français d’Amérique, plusieurs ayant été empruntés aux langues amérindiennes, ou à la sonorité d’icelles, et, ma foi, très peu à l’anglais. D’ailleurs, n’oublions pas que la langue de Shakespeare compte plus d’emprunts au français que l’inverse.
L’essayiste rappelle aussi une réalité qui nous échappe trop souvent : « Et pour terminer avec les idées toutes faites, comment ne pas souligner que c’est bien au Canada, et non en France, que le français a eu pour la première fois le statut de langue nationale, parlée et comprise par tous, plus de trois siècles avant de s’imposer comme idiome général dans l’Hexagone? » Ce n’est pas la une théorie imaginaire, mais attestée par des historiens de la langue, dont la linguiste Henriette Walter dans son histoire de la langue Le français dans tous les sens (Le livre de poche, 1997) et dans l’éloquent article de J.-C. Germain, «L’inconnaissance de l’histoire est un choix» dont j’ai fait mon credo.
Revenons au lexique de Mansion. Au cours de mes années d’enseignement, j’ai souvent eu recours à l’étymologie des mots pour redonner vie à une classe les jours de pluie. Ainsi, l’origine d’« enfirouaper » réveillait les plus endormis lorsque je racontais que le mot venait de l’anglais « in fur wrapped », précisant que c’était là une façon de protéger les fusils des intempéries. Or, l’auteur suggère d’autres origines non moins intéressantes dont le fait que les fourrures étaient jadis vendues au poids et que certains trappeurs avaient pris l’habitude d’ajouter des pierres aux ballots pour en augmenter le prix.

Je pourrais continuer ainsi très longtemps tant Les trésors cachés du français d’Amérique recèle, comme le titre le suggère, de véritables perles du français qu’on parle au Québec, mais aussi en Acadie ou en Louisiane. À lire et consulter pour découvrir d’autres richesses de notre parlure et en être fière.

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