mercredi 25 janvier 2017

Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras
Les Superbes : une enquête sur le succès et les femmes
Montréal, VLB, 2016, 256 p., 29,95 $.

Il n’y a pas de p’tites violences

Il est rare qu’un livre éveille en moi un malaise persistant. C’est pourtant dans l’embarras que Les Superbes, « une enquête sur le succès et les femmes » signée Léa Clermont-Dion et Marie Hélène Poitras, m’a plongé. Qu’allait faire un baby-boomer septuagénaire dans l’univers pourri de la misogynie institutionnalisée scrutée à la loupe par ces femmes qui, malgré leurs engagements militants, n’ont pu s’en soustraire?
Si je suis familier de l’œuvre écrite de M. H. Poitras, j’ignorais qui était Mme Clermont-Dion. N’étant pas un aficionado de la grand-messe du dimanche soir où elle a raconté qu’adolescente elle a souffert d’anorexie, je ne connaissais pas sa démarche ayant mené à Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée et à un premier livre, La revanche des moches (VLB, 2014).
Une seule rencontre a suffi pour arrimer les atomes des deux auteures et leur inspirer un livre dans lequel elles allaient recueillir le témoignage de femmes d’influence ayant rencontré mille embûches, généralement masculines, pour atteindre leurs buts ou poursuivre leurs projets. Elles ont elles-mêmes vécu l’ostracisme mâle à la suite d’interventions remarquées sur la place publique.

L’originalité de l’ouvrage, c’est qu’il propose de suivre, presque pas à pas, la démarche intellectuelle qui les a amenées à le rédiger et l’évolution pratique de sa réalisation. La formule des entrevues ou de la synthèse de celles-ci ayant réussi dans le premier livre de Mme Clermont-Dion, les auteures ont conservé cette façon de faire, en ajoutant la correspondance qu’elles ont entretenue entre elles du début à la fin du projet. Il en résulte un ensemble de points de vue, uniques dans la spécificité des personnes rencontrées, majoritairement des femmes, mais différents dans leurs façons d’affirmer leur engagement.
Comment faire sa place dans différents « boys’ club » en tant que femme, d’y demeurer et même d’y accroître son pouvoir? De cette question découle celle au cœur des Superbes : jusqu’où les pièges tendus à leur égard peuvent aller? Je n’ai senti aucune amertume de la part des femmes qui ont collaboré avec les auteures, mais une certaine lassitude des constants rappels qu’elles doivent faire à leurs vis-à-vis masculins. Comme si le prix de l’équitabilité des rôles était d’abord celui de fréquentes redites.
Les témoignages recueillis me semblent correspondre à l’engagement public de chacune des femmes qui les ont portés, car en harmonie avec leurs actions. Ainsi, les propos de Pauline Marois, de Louise Arbour, de Sonia Lebel ou de Francine Pelletier ont la force et la pertinence des responsabilités de chacune d’entre elles. Aucune ne fait le procès de qui que ce soit, sinon qu’il faut être aveugle pour ne pas comprendre que l’hommerie n’est jamais bien loin des crocs-en-jambe qui leur sont faits. Le partenariat homme-femme qu’évoque Mme Marois suggère une piste de réflexion menant peut-être à de nouvelles attitudes, de nouveaux comportements dont la société tirerait des avantages.
Un autre aspect des échanges dont le livre nous fait les témoins, c’est celui des violences de toutes sortes faites aux femmes. On pense ici à Mariloup Wolfe, attaquée par les propos violents d’un blogueur, ou à Joanne Liu dont le travail de présidente mondiale de Médecins sans frontière la met jour après jour devant la misère des femmes en zone de conflit.
Le malaise initialement ressenti ne s’est jamais estompé, mais j’en suis venu à comprendre ce qu’il l’a provoqué : l’attitude primitive d’un ensemble d’hommes face à la liberté de pensée et d’action des femmes qui occupent l’espace public qu’elles choisissent sans se laisser arrêter. J’ai peine à imaginer le sort de toutes les autres sur la planète qui sont réduites au silence.

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