Carl Bessette
Le propriétarisme :
proposition très concrète pour un nouveau système économique
Montréal, Somme toute, coll.
« Manifestement », 2024, 80 p., 15,95 $.
L’écorichesse libre : entre utopie et dystopie
Quand, au petit déjeuner du 1 janvier, on nous apprend que les plus riches de la planète ont déjà engrangé plus que ce que le salarié moyen gagnera durant les 365 jours du Nouvel An, il y a « quelque chose de pourri au Royaume du Danemark », une odeur qui ennuage l’atmosphère. De plus, le revenu annuel net de ces richissimes ou de leurs sociétés sera plus élevé que le budget de nombreux États. Arrêtez, la pollution économique nous étouffe autant que la pollution environnementale dont elle est une des conséquences.
De tels constats me sont venus à
travers les pages de l’essai Le propriétarisme : proposition très
concrète pour un nouveau système économique, un ouvrage de Carl Bessette.
Économiste l’auteur? Non, diplômé en philosophie – comme un certain PKP – et co-fondateur
des éditions de l’Écrou, en compagnie de Jean-Sébastien Larouche, une maison « exclusivement
axée sur la publication d’ouvrages de poésie ».
Or, cette absence de littéracie financière
oblige trop souvent d’accorder une foi aveugle aux économistes de tous les
ordres, même si l’Économie tient les cordons de la bourse de chacune, chacun. Comment
alors définir ce concept abstrait, parfois vide de sens commun? « Un système
économique est le mode d’organisation de l’activité économique, qui détermine
la production, la consommation, l’utilisation des ressources et la distribution
des ressources d’une société ou d’une aire géographique donnée. Il comprend la
combinaison des diverses institutions, agences, entités, processus décisionnels
et modes de consommation qui composent la structure économique d’une communauté
donnée.
Il peut être également compris
comme l’organisation sociale induite par le système. Le système économique
influence de nombreux facteurs, comme le niveau de vie des habitants, le niveau
des inégalités, les relations avec les autres pays, ou la puissance économique. »
(Wikipédia, 24 mai 2024)
Communisme, capitalisme,
socialisme, coopératisme et tutti quanti établissent, théoriquement du moins, les
paramètres de l’économie qui leur sont propres. J’ajoute la notion de
« sociétisme », néologisme faisant référence aux mégas entreprises,
souvent monopolistiques dans leur champ d’activités, dont les revenus annuels
bruts dépassent l’entendement sans que les États n’y puissent quoique ce soit,
sinon d’exiger que ces entités soient fragmentées, entraînant une
diversification de leurs parts.
Le propriétarisme, cette
« proposition très concrète pour un nouveau système économique » que
fait Bessette dans son bref essai, semble un projet intéressant que je situe
entre la dystopie planétaire que les vieux systèmes semblent avoir établie et
l’utopie d’une écorichesse collective et libre.
L’essayiste est bien conscient du
peu d’intérêt, sinon du désintérêt de la population pour l’économie en tant que
système, parfois même de l’économie domestique, en dehors des crises qui
touchent directement à leur portefeuille. C’est pourquoi une de ses premières
raisons d’être de ce livre est d’offrir un discours intelligible en matière
d’économie pour le citoyen ordinaire.
Bon pédagogue,
Bessette dresse d’abord un bilan des systèmes communiste et capitaliste, et
conclut : « En résumé, capitalisme et communisme sont deux systèmes
éprouvés et imparfaits. La dictature du patronat autant que la dictature de
l’État privent d’une part substantielle de l’humanité des moyens de son
épanouissement. » À ce constat, il propose « le propriétarisme, un
système économique qui se situe à la charnière de ces monuments connus et
testés. » Au cœur du propriétarisme, il y a, entre autres, l’appropriation
collective de toutes les ressources naturelles, même celles actuellement
détenues par des sociétés privées, telles les sociétés minières ou forestières.
Ces entreprises, comme les États le cas échéant, continueraient les
extractions, le développement, etc., sans en être les propriétaires légaux,
mais en partenariat avec les individus constituant leur personnel. J’insiste
sur le mot individu, car il est là l’assise du propriétarisme, ce qui exige une
pleine et entière collaboration entre toutes et tous. Les entreprises à
l’actionnariat diversifié doivent ainsi modifier leur structure administrative
pour qu’il n’y ait plus qu’un unique actionnaire. Vous voyez déjà l’immense
chantier que cela exige, notamment, le changement des mentalités du plus, plus,
plus au niveau des revenus.
Qu’est-ce que le propriétarisme
au sens où Carl Bessette l’entend? « Il s’agit d’une doctrine dans
laquelle la personne qui est propriétaire d’une entreprise – ou les
propriétaires, au moyen d’un consensus – détermine, au début de chaque année
financière, un montant de bénéfice net qu’elle souhaite personnellement
réaliser, au-delà duquel elle s’engage à distribuer le montant restant, s’il y
a lieu, aux employés, proportionnellement à leur cumul des heures de travail
pour l’année en question.
Pour le bien de la proposition,
nous utiliserons la notion de cadre de bénéfice net ou CBN pour désigner le
chiffre que le propriétaire doit déterminer à chaque début d’année financière
comme en deçà duquel les bénéfices seront conservés.
Nous nommons bénéfice net infra
ou BNI le montant récolté en deçà du CBN.
Nous nommons bénéfice net extra
ou BNE le montant qui sera partagé entre les membres du personnel
employé. »
Non, nous ne sommes pas au pays
des licornes, ni dans un quelconque État sur lequel règne un Communisme 2.0,
mais bien devant une proposition de société dont l’équilibre n’est plus
uniquement basé sur la relation travail-salaire, mais travail et vie collective.
Je vous arrête tout de suite : le modèle économique proposé vise d’abord
et avant tout les petites et moyennes entreprises – celles à dimension humaine –
à propriétaire unique ou limité à quelques individus y œuvrant généralement.
J’ajoute que de telles entreprises sont fréquemment reconnues comme étant de
bons citoyens corporatifs.
« Le propriétarisme ne porte
pas ce nom parce qu’il cherche à faire de tous les employés des propriétaires;
ce serait mal comprendre. Le système est ainsi nommé parce qu’il place la
personne qui est propriétaire de l’entreprise au centre de l’équation
économique, au centre et sur la sellette, c’est-à-dire que sous le
propriétarisme, les propriétaires, sans aller jusqu’à devoir se justifier, se
voient tout de même obligés de répondre à une question : combien cette
année.
Question à laquelle,
accessoirement, ils devront se conformer pour remettre, par la suite,
l’excédent sous forme de bonus annuel à l’ensemble de leur personnel. »
L’essai se poursuit en abordant
« des problèmes à résoudre » : « le sentiment d’aliénation
du salariat, la pénurie de main-d’œuvre et le roulement du personnel, les
écarts de richesse qui vont grandissant, le défaut de transparence qui mène à
une perte de confiance en milieu de travail… »
Il est ensuite question
« des avantages collatéraux » que procure le propriétarisme,
théoriquement du moins : plus grande productivité, plus grands bénéfices,
production de meilleure qualité et plus de clients, présence au travail plus
volontaire, équité à l’échelle mondiale, moins de vols de la part du personnel,
moins de travail mal fait ou bâclé, moins de corruption, impôt propriétariste
ou de la triple structure gagnante, avantage fiscal pour le propriétaire, pour
la société et pour l’employé. »
Avec autant d’hypothèses de
réussite du propriétarisme, l’essayiste évoque quelques réactions contraires des
parties impliquées : « les propriétaires ne voudront pas », « les
mauvais employés », « les mauvais patrons », « les banques
veulent des revenus, pas des profits ». Il évoque ensuite l’application
des règles du propriétarisme dans différents domaines d’activité et souligne
que : « Partout, où que l’on regarde, la petite taille des structures
administratives des PME offre, bénéfice net ou non, l’opportunité de tester le
propriétarisme et d’en apprécier les résultats. »
La conclusion de l’ouvrage Le
propriétarisme : proposition très concrète pour un nouveau système
économique peut sembler simpliste, mais ne l’est pas pour autant, car
« il s’agit d’un système économique qui tirera toute sa force de sa mise
en application, et aux premiers la chance. » Pour nous convaincre de la
viabilité du projet de propriétarisme, Carl Bessette termine son propos en
citant L’enracinement, un essai que signait Simone Weil en 1943 et qui
évoque, sans le nommer, le concept de propriétarisme qui « aurait pour
orientation, non pas la formule qui tend aujourd’hui à devenir à la mode,
l’intérêt du consommateur – cet intérêt ne peut être que grossièrement matériel
–, mais la dignité de l’homme dans le travail, ce qui est une valeur spirituelle. »
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