Mira Falardeau
L’art de la bande
dessinée actuelle au Québec
Québec, PUL, coll. « Arts
et Études », 2020, 186 p., 29,95 $ (papier et numérique).
Au confluent de tous les arts
Si je suis un enfant de la télé –
j’avais 5 ans lorsque les boîtes à image sont entrées dans les chaumières –, je
suis aussi enfant des « comic strips » que publiaient autrefois les
hebdos nationaux. Je me rappelle de Ferdinand, de Mandrake le magicien ou de Dick
Tracy et sa montre téléphone. Puis, ce furent les bédés belges ou françaises,
de Michel Vaillant à Spirou et Fantasio, de Tintin à Astérix. Sans oublier mon
sauveur Gaston Lagaffe. Bien avant ces personnages, les caricatures et les bédés
des Québécois Albéric Bourgeois et Albert Chartier ont fait dire à certains
observateurs que leurs œuvres sont à l’origine de la bédé.
Il y a donc une véritable génétique
de la bande dessinée québécoise que Mira Falardeau recense et analyse depuis longtemps.
Elle a consacré à son histoire et à ses créateurs près d’une dizaine d’ouvrages
dont le plus récent, L’art de la bande dessinée actuelle au Québec.
L’essayiste énonce d’entrée de
jeu son projet : « C’est à cet art merveilleux de la BDQ, bande dessinées
québécoise, que je veux rendre hommage dans ce livre. J’ai choisi 30 artistes
qui me semblent intenses et talentueux… Ces artistes sont représentatifs de trois
générations et sont classés du plus âgé au plus jeune. Pour chacun, une
biographie détaillée sera suivie d’une analyse approfondie d’une page complète
tirée d’un album. Pourquoi cette analyse? Parce qu’à travers cette dissection,
le lecteur sera invité à saisir toutes les nuances de ce langage de la BD, à la
confluence de toutes les formes d’art : à la fois cinématographique, théâtralité,
prouesse graphique, jeux d’ombres et de lumière, art du dialogue, acrobatie du
mouvement, musicalité des onomatopées, emphase des mimiques, subtilité
romanesque et narrative. »
Ambitieuse entreprise,
penserez-vous, que l’autrice est néanmoins parvenue à réaliser avec brio, car
ce livre s’inscrit dans une démarche entreprise au début du millénaire et qui
est constante et globale depuis. Cette vaste rétrospective de l’univers bédéisque
québécois actuel est d’abord présentée sur l’état des lieux de la publication des
œuvres, des éditeurs aux événements ou autres activités qui y sont rattachés,
en passant nécessairement par les revues qui y sont consacrées en tout ou en
partie.
Impossible qu’il n’y soit pas
question de Croc (1979-1995) et de Safarir
(1987-2016). L’essayiste souligne avec justesse que ces périodiques ont permis « cette
espèce de synergie, une énergie qui non seulement entraîne les auteurs à se
dépasser, stimulés les uns par les autres, mais qui suscite aussi la naissance
de grands talents, qui n’auraient peut-être jamais germé sans ces milieux propices. »
Ce n’est donc pas étonnant que plusieurs bédéistes venus l’une ou l’autre des
ces revues fassent partie des 30 artistes retenus par Mira Falardeau aux fins d’une
analyse.
Si l’âge d’or des revues à grand tirage est peut-être révolu, il faut savoir
que des imprimés underground ou des périodiques, tel Nouveau projet ou Lettres
québécoises, font paraître quelques pages de bédé associée à un thème
précis.
Du côté des maisons d’édition, elles foisonnent. Initiative de
bédéistes ou d’éditeurs passionnés, on a vu poindre La Pastèque, Mécanique Générale,
PowPow et Glénat-Québec. Des éditeurs littéraires comme L’Oie de Cravan et Alto
ont aussi cédé au chant des sirènes de la bédé, comme ces autres qui publient l’annuel
de caricaturistes comme André-Philippe Côté ou Serge Chapleau. Tout cela sans
compter la horde de dessinatrices et dessinateurs de chez nous qui a envahi Internet.
Autres mises en perspective proposées par Mira Falardeau, celles
considérant les genres et les artisans. Tous ceux dont elle retient les œuvres sont
ou Québécois ou ont publié au Québec depuis le début du millénaire. Du côté des
genres, elle rappelle que : « L’humour est le genre par lequel la BD
est née, à l’origine dans les strips des quotidiens : en 1904, Les Aventures
de Timothée d’Albéric Bourgeois paraissaient dans La Patrie… »
Il y a eu l’abandon de cette pratique dans les années 1910 au profit des « syndicates »
états-uniens, ces agences qui diffusaient les mêmes strips à travers tous les
journaux du continent. Cela a eu pour effet de ralentir le développement embryonnaire
de la bédé d’ici, ce qui a plus tard favorisé l’invasion des revues et albums
belges ou français.
Malgré cela, il y a eu de nouveaux bédéistes et des parutions confidentielles
dont les sujets étaient ou plus intellectuels ou représentatifs de groupes
marginaux. Puis, le roman graphique connaît un certain essor après d’autres
contrées. Mais, entretemps, la bédé d’aventure et les comics se sont constitué
un lectorat important et diversifié alimenté par un bon nombre de créateurs.
Toujours dans la mise en contexte initiale, Mira Falardeau traite de l’avant-garde :
« Une coquetterie d’auteure m’a donné le goût de donner un qualificatif à
chacun des auteurs underground, lesquels sont souvent des artistes de grand
talent, très courageux de nager ainsi à contrecourant. » Il y le
graffiteur prolifique, Leif Tande; le clown triste, Pishier; la poétesse
intello, Julie Delporte; l’artiste multicolore, Catherine Ocelot; l’originale
envolée, Geneviève Castrée; le photographe éclaté, Marc Tessier; le fanzineux
illuminé, Simon Bossé; l’écrivain déjanté, Alexandre Fontaine-Rousseau; l’auteur
surdoué, David Turgeon; le copilote polyvalent, Vincent Giard.
Impossible de ne pas souligner l’importance de la bédé pour la jeunesse,
même si les artistes qui en sont les champions n’ont pas été retenus
considérant que la bédé jeunesse est un genre en lui-même. C’est pourquoi, Mme
Falardeau trace à grands traits une rétrospective historique des origines à
aujourd’hui, en insistant sur les créatrices et créateurs actuels.
Personnellement, trois autrices illustratrices me viennent spontanément
à l’esprit : Mireille Levert, Élise Gravel et Annie Groovy. D’abord, parce
que leur œuvre est vaste et riche et s’adresse à plusieurs groupes d’âge. Puis,
parce qu’elles ont un lien avec la région : Mireille est originaire du
côté de Napierville, Élise a un papa qui a enseigné au cégep et qui est lui
aussi écrivain, Annie parce que j’affectionne particulièrement Léon, son gentil
cyclope et qu’elle visite régulièrement nos écoles.
La troisième partie de L’art de la bande dessinée actuelle au
Québec est entièrement consacré aux trente artistes que l’autrice a choisis
pour représenter l’état actuel des lieux. « Chaque artiste, par ordre
chronologique de naissance, va occuper l’avant-scène avec une biographie
illustrée de sa photo, suivie d’une page complète de l’un de ses meilleurs
albums, analysée en détail pour en faire ressortir les points forts. L’ensemble
des portraits forme un tout destiné d’abord à illustrer la diversité et le
talent des créateurs d’ici, mais aussi, dans un propos plus large, à démontrer
la vitalité de cet art dans notre pays et son originalité en tant qu’art
global. »
Si je ne m’aventure pas à donne
la liste complète, ou même partielle, des bédéistes retenus, je précise, comme
l’a fait Mira Falardeau, que le vocabulaire utilisé pour décrire ou analyser leurs
œuvres tire ses origines des multiples formes d’art qui inspirent la bédé
« ou sont en osmose avec cet art original ». On n’est donc pas
surpris que la terminologie du théâtre, du cinéma, de la littérature, du dessin,
de la gravure, du dessin animé puisse être utilisée de façon appropriée, car la
bédé « est l’art syncrétique par excellence. »
Si une passion peut être communiquée par l’écriture, Mira Falardeau y est
parvenue au point de rendre à la bédé son titre mérité de 9e art. Je
ne doute pas pour autant que l’essayiste poursuivra ses démarches d’études et d’analyses
sur son sujet de prédilection et qu’elle nous fera partager à nouveau le fruit de
ses observations et de ses recherches.
https://podcasts.apple.com/ca/podcast/vous-avez-dit-bd/id1363348132?l=fr&fbclid=IwAR0qDkBOIO_OhtpvTo1NBXhfCSyl2izBCjZCq67i7GaPJEyXTuy80Kvp1bs#episodeGuid=https%3A%2F%2Fwww.librairiezbookstore.com%2FPodcastGenerator_VADBD%2F%3Fname%3D2020-06-09_episode_33_art_de_la_bd.mp3
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