mercredi 15 novembre 2017

Louis-Philippe Hébert
Le Roi jaune
édition du 50e anniversaire revue, corrigée et augmentée, remasterisées, illustrations originales de Micheline Lanctôt
Saint-Sauveur-des-Monts, La Grenouillère, coll. « Livre de poche », 2017, 394 p., 24,95 $.

Le laboratoire de l’alchimiste

« On n’est jamais si bien servi que par soi-même», selon l’adage. Or, peu d’écrivains québécois ont pris les moyens pour lancer dans la troisième dimension – passé, présent, futur, ici, ailleurs, nulle part confondus – une œuvre sinon qu’en format de poche. Et je ne parle pas d’en rematricer le texte, fond et forme. C’est pourtant la proposition que nous fait Louis-Philippe Hébert en ramenant Le Roi jaune, prose narrative parue en 1971, aux éditions du Jour dont il dirigeait la collection « Proses du Jour », illustrée par Micheline Lanctôt, qui allait devenir l’année suivante l’inoubliable Bernadette de Gilles Carle.




Le Roi jaune laissa sans voix la diaspora littéraire – collègues écrivains, critiques reconnus, etc. – tant Hébert y fait sauter les barrières imposés par les codes de l’écriture romanesque en réinventant systématiquement ce qui était jusque-là considéré comme des incontournables: trame, narrateur, personnages, actions, péripéties, chutes, etc. S’eut été un nouveau venu parmi le foisonnement de jeunes auteurs du Jour, qu’on aurait levé le nez ou tourné le dos à ce curieux recueil constitué de quatre récits, chacun comptant une suite de plusieurs microcosmes comme autant de respirations, parfois longues tantôt courtes, de personnages plus grands que l’imagination d’un lecteur aguerri.
En lisant ce nouveau Roi soleil, et ce n’est pas un euphémisme de dire ainsi, j’ai compris en quoi ce monstre littéraire effrayait la faune lectrice: le propos et son organisation spatiotemporelle étaient loin des préoccupations identitaires que distillaient proses et poésies des années 1970 tout en cherchant à se distinguer des autres littératures francophones. Le livre de L.-P. Hébert, autant que les illustrations de Mme Lanctôt, étaient clairement révolutionnaires et représentaient une contestation peu rassurante pour notre institution littéraire encore frileuse.
Quand je pense aux œuvres que l’auteur et l’illustratrice ont créées depuis, lui en littérature et en micro-informatique, elle au cinéma et en engagements sociaux, je comprends, enfin, ce que Le Roi jaune anticipait. En relisant l’entrevue que Hébert a accordée à Robert Morency en 1978 et à Nicolas Tremblay en 2003, j’ai cru y voir comme un arc dans le ciel de son univers, une urgence d’écrire sans cesse actualisée et renouvelée.
C’est cependant l’étude de J.-P. Vidal, « Le Roi jaune ou le rat des livres et la folle du logis » (Voix et Images, vol. 4, no 3, avril 1979) qui m’a révélé l’hyperbole littéraire qu’est ce livre. « Sans queue ni tête l’histoire parce que la fiction est le produit d’un déboîtement perpétuel de ses articulations signifiantes, articulations dont le jeu finit par capturer ce qui les déclenche… Kaléidoscope, puzzle, mécanique ondulatoire, topologie: c’est l’univers des anamorphoses [images déformées] que l’écriture en son parcours fait surgir. »
Voyage initiatique que notre visite au pays du Roi jaune, jumeau cosmique de Louis XIV venu de France et de Navarre pour stigmatiser à jamais toutes les faces de leurs environnements, qui nous livre, pieds et poings liés, l’entièreté de l’œuvre littéraire, et même technologique, de l’écrivain Hébert.
Ne craignez surtout pas de plonger dans la prose tumultueuse du Roi jaune. Comme l’écrit J.-F. Chassay en préface de La manufacture des machines (XYZ éditeur, coll. « Romanichels poche », 2001, pp. 10-11) : « Arrêtez-vous. Prenez le temps de lire. Ne sautez aucun mot. Ralentissez. Vous aurez des surprises. Et c’est dans pareils moments que la littérature joue pleinement son rôle. La formule de Cioran trouve ici toute sa valeur: à quoi bon écrire pour dire exactement ce qu’on avait à dire? Le texte déplace plutôt des phénomènes, les explique autrement, les métamorphoses. »

Comme je l’écris souvent : pour que je suive la carrière d’un écrivain d’un livre à l’autre, il doit me surprendre à tout coup que ses mots et les univers qu’ils créent m’amènent ailleurs. Aussi loin que Louis-Philippe Hébert et quelques autres parviennent à faire voyager tout notre être.

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