mercredi 18 octobre 2017

Caroline Vu
Palawan<
Montréal, Pleine lune, 2017, 358 p., 27,95 $.

Se souvenir : entre mémoire et imaginaire

Après Un été à Provincetown, Caroline Vu nous propose un nouveau récit dont la trame relate une histoire d’introspection dont l’héroïne, qui est aussi la narratrice, mène à bien la quête.
Hué, ancienne capitale impériale du Vietnam. Kim, âgée de 15 ans, traverse une adolescence tumultueuse, les rapports avec sa mère étant chicaniers. Une nuit, cette dernière la réveille et elles quittent la ville sur la pointe des pieds en direction du village des lépreux où les attend un vieil homme qui les amène sur la plage pour s’embarquer sur un rafiot. Étonnée, Kim monte seule à bord craintive, mais d’apercevoir tatie Hung et sa fille Titi, des voisines, la rassure. Que se passe-t-il durant ce voyage dont elle n’a que des flashes qui l’effraient? Kim range cette question dans sa mémoire avec les non-dits et les demi-vérités accumulés depuis la disparition de son père à la chute du pays.




Palawan, le camp de réfugiés, est un passage obligé devant mener en terre d’accueil d’Europe ou d’Amérique. Kim en raconte la vie quotidienne et ses aléas, cette attente, toujours trop longue, étant devenue un jeu où le rêve d’un avenir meilleur stimule l’imagination. Elle fait la connaissance du Dr Jacques, un médecin français engagé dans la mission de Médecins sans frontières, qui la reçoit lorsque la maladie la frappe durement; plus tard, il lui demande de travailler comme interprète au dispensaire, car lui et l’infirmière philippine ignorent le vietnamien.
C’est là que Kim rencontre un agent d’immigration états-unien qui s’intéresse à sa situation. Or, c’est grâce à cet homme et à un quiproquo sur son nom qu’elle est prise en charge par un programme communautaire états-unien et qu’elle est reçue par Mary, sa famille et la population de Derby, une petite ville du Connecticut. Le choc culturel entre son éducation et son séjour dans le camp de réfugiés est grand. Elle est bouleversée par une telle gratuité de sentiment et de sympathie. Surtout qu’elle peut lire et étudier à volonté. Élève brillante et studieuse, ses succès scolaires lui permettent de recevoir des bourses et de poursuivre ses études dans la discipline de son choix. C’est ainsi qu’elle décide de faire médecine et elle demande d’aller à l’Université McGill, au Canada.
Nous suivons Kim à Montréal durant ses années d’études et de stages en compagnie de ses consœurs de résidence venues des quatre coins du monde. À la même époque, elle se lie d’amitié avec Claude, son « fantasme francophone », avec qui elle en vient à s’installer. N’ayant pas vraiment pris de repos depuis son arrivée en Amérique, sa directrice de stage lui conseille de faire une pause, car elle donne des signes de surmenage. Kim et Claude décident alors de partir pour la Californie. À L.A. où il y a une grande communauté vietnamienne, elle retrouve son amie Titi et tatie Hung. C’est au cours d’une conversation avec cette dernière qu’elle lui confie que sa mère l’avait chargé de veiller sur elle, mais elle refuse de raconter ce qui est survenu durant la traversée malgré son insistance.
De retour à Montréal, la relation de Kim et Claude s’étiole. Lorsqu’elle décide de retourner à Palawan, Claude refuse de la suivre, espérant qu’elle règle ses comptes avec son passé qui mine son existence et leur vie de couple.
Le camp de réfugiés est maintenant un village où Kim, devenue médecin, rencontre les « damnés de la terre », surtout de nombreux enfants abandonnés. Les confidences que lui font des jeunes femmes comblent un peu le vide de sa propre histoire.
Elle traverse ensuite, Hô Chi Minh-Ville, le Saïgon de son enfance, en direction de Hué, sa ville natale. Elle y retrouve monsieur Son, son professeur. Le sage vieillard a reçu les confidences de tous et répond, sans l’épargner, à ses interrogations sur son père, sa mère et tatie Hung. Sa mère, lui apprend-il, est hébergée dans une maison de retraite et souffre de la maladie d’Alzheimer. Kim y accourt, mais sa mère ne la reconnaît pas. Elle revient plusieurs fois à son chevet sans que le contact s’effectue vraiment; elle lui dit comprendre pourquoi elle a été aussi sévère avec ses enfants et qu’elle ne lui en veut pas.
Kim rentre en Amérique, en faisant halte à Derby pour saluer Mary, celle qui fut plus qu’une mère adoptive. À Montréal, elle renoue avec Claude.
Caroline Vu relate, dans une langue sans fard ni exagération, la vie des victimes de la guerre du Vietnam, de ses horreurs, dont le napalm sur la population et le massacre de civils à My Lai par les G.I., et la vie dans un camp de réfugiés. Quelle différence y a-t-il entre la réalité et le souvenir des témoins, sinon ce que l’imagination a échafaudé pour calmer ou oublier sa douleur?

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